
Le travail et les mots
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"La langue, comme performance de tout langage, n'est ni réactionnaire, ni progressiste; elle est tout simplement fasciste; car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire".
Ces quelques phrases célèbres extraites du discours inaugural de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France prononcé par Roland Barthes le 7 janvier 1977, sont suffisamment évocatrice pour se passer de commentaires. Elles nous rappellent que nous sommes à la fois maître et esclave du langage : de sa grégarité, de sa rection généralisée sur les choses. Par le truchement des qualificatifs et des logiques de comparaison, le langage ordonne en même temps qu'il se présente comme l'ordre lui même. En nommant, le langage classe et hiérarchise. Dans son archéologie des sciences humaines*, Michel Foucault avait déjà identifié la notion de travail formulée par Adam Smith dans l'Analyse des richesses comme l'un des évènements fondateurs de la pensée moderne avec la Grammaire générale et l'Historie naturelle : "Il s'est donc produit vers les dernières années du XVIIIème siècle, un évènement qui est partout de même type (...) A partir de cet événement, ce qui valorise les objets du désir, ce ne sont plus seulement les autres objets que le désir peut se représenter, mais un élément irréductible à cette représentation : le travail; ce qui hiérarchise les choses dans les mouvements continus du marché, ce ne sont pas les autres objets ni les autres besoins; c'est l'activité qui les a produites, et qui, silencieusement, s'est déposée en elles".
La notion de "travail" dans son acceptation moderne, le mot et l'idée qui s'y rattache, est un objet particulièrement exposé au pouvoir de normalisation du langage. Ultra-présent dans les discours politiques, médiatiques, et publicitaire, la langue du travail, par la force de la répétition, travaille les hommes à son image et bien souvent à leur insu...
Références :
- Michel Foucault, les mots et les choses, 1966.